L'histoire de la Bande à Bonnot est une épopée fulgurante : elle ne dure que 6 mois (de décembre 1911 à mai 1912), mais elle marque fortement les esprits. Dans une époque de luttes sociales sans merci, ceux que la presse surnomme les "bandits tragiques" tiennent en haleine une France apeurée devant tant d'audace et désespérée par l'échec de la police.
L'affaire Bonnot représente le glissement de la cause anarchiste vers le grand banditisme et l'introduction en France du hold-up "à l'américaine", utilisant l'automobile naissante. La bande, d'abord composée de Callemin ("Raymond-la-Science"), Carouy, Soudy, Valet et Garnier, se rencontre au siège du journal L'Anarchie. Le journal est dirigé par Kibaltchiche, un intellectuel russe qui rêve d'une anarchie composée d'amour et de raison. La violence de ses amis l'inquiète: tous commettent des vols et brûlent de passer à l'étape supérieure.
Ils rencontrent Bonnot en novembre 1911. Plus expérimenté qu'eux, mécanicien et chauffeur "hors pair", il joue le rôle de chef. Les malfaiteurs multiplient les vols d'automobiles qu'ils utilisent pour leurs cambriolages et attaques de banques. Pendant quelques mois, huit personnes succombent sous leurs balles et deux autres sont grièvement blessées (rentiers, chauffeurs, agent de police, employés de banque).
Le 28 avril 1912, Bonnot est cerné à Choisy-le-Roi lors d'un siège qui rassemble des milliers de spectateurs, il succombe à ses blessures. Le 14 mai 1912, Garnier et Valet sont à leur tout cernés et tués dans un pavillon de Nogent-sur-Marne (à proximité du viaduc). Le reste de la bande et divers comparses (22 personnes) sont jugés en février 1913. Quatre des membres sont condamnés à mort, mais trois sont guillotinés (Callemin innocente Dieudonné à l'annonce du verdict). Deux sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité (Carouy se suicide). Kibaltchiche écopera de 5 ans de prison puis jouera un rôle important dans la Révolution russe.
Les valeurs partagées par mes membres de la bande (désir d'apprendre, hospitalité, solidarité, bonne humeur, respect des femmes, hygiène alimentaire, ....) contrastent violemment avec la brutalité de leurs actes. Au final, il semble que cette affaire ait desservi la "cause anarchiste": le véritable but de Bonnot était-il de défendre l'ouvrier et ode se révolter contre la société? Son engagement politique ne lui servait-il pas d'excuse pour s'enrichir et devenir célèbre, comme il l'écrit dans sont testament? Cent ans plus tard, l'histoire est encore dans les esprits, enrobée d'un romanesque qui a inspiré les auteurs de bande dessinée ou des cinéastes.
Des affiches, estampes, photographies, cartes postales, et une scène reconstituant l'ambiance d'un commissariat de police sont présentées à l'occasion du centenaire d'un des plus grands faits divers de la Belle Epoque.
Source: Musée de Nogent-sur-Marne
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Le petit parisien, 7 janvier 1912
Garnier et Callemin volent la sacoche d'un garçon de recettes de la Société Générale. Bonnot reste au volant d'une voiture volée. Ce premier braquage en automobile connait un retentissement considérable et fait la une des journaux. Mais le butin est maigre. La voiture est abandonnée à Dieppe. Callemin tente de négocier les titres en Belgique.
Source: Musée de la Préfecture de Police
Les faits principaux
1911
- Novembre : Bonnot rencontre au siège du journal L’Anarchie ses futurs complices
- 14 décembre : vol d’une automobile Delaunay-Belleville de 12 cv. Elle servira au premier hold-up motorisé de l’histoire (complices : Bonnot, Garnier, Callemin)
- 21 décembre : attaque de la Société Générale, rue Ordener à Paris. Vol de sacoche, encaisseur grièvement blessé. L’événement a un retentissement considérable. La police découvre que le braquage est lié au milieu anarchiste (Bonnot, Garnier, Callemin)
1912
- 3 janvier : cambriolage avec assassinat d’un rentier et de sa femme de chambre à Thiais (Carouy, Metge. Rien n’indique que l’action ait été concertée avec Bonnot)
- 18 janvier : cambriolage de l’usine Firmonge à Romainville (receleur : de Boué)
- 1er février : tentative de vol de voiture à Gand. Meurtre d’un chauffeur, blessure sur veilleur de nuit (Bonnot, Garnier, Callemin, de Boué)
- 16 février : vol d’automobile à Béziers (Bonnot, Garnier, Dieudonné, Callemin, de Boué)
- 27 février : vol de voiture à Saint-Mandé. A Paris, Garnier abat un agent de police. Ce meurtre augemente la colère de la presse et de l’opinion (Bonnot, Garnier, Garnier)
- 29 février : tentative de cambriolage chez un notaire à Pontoise (Bonnot, Garnier, Callemin)
- 25 mars : vol de voiture à Montgeron. Chauffeur abattu. Braquage de la Société Générale de Chantilly. Deux employés sont tués (Bonnot, Garnier, Callemin, Monnier, Valet, Soudy)
- 30 mars-24 avril : arrestation de Soudy, Carouy, Callemin, Monnier
- 24 avril : Bonnot tue Louis Jouin, numéro 2 de la Sûreté Nationale, à Ivry-sur-Seine
- 27 avril : Bonnot est assiégé dans un pavillon de Choisy-le-Roi. Blessé, il meurt à l’Hôtel-Dieu
- 14 mai : Garnier et Valet sont cernés et tués dans un pavillon de Nogent
1913
- Février : procès des membres survivants
Source: musée de Nogent-sur-Marne
Les principaux membres:
Garnier, Bonnot, Valet, Dubois, Callemin, Soudy, Carouy, Dieudonné, Monier, Metge.
Au milieu l'écriture et les empreintes de Garnier.
Source: Archives départementales du Val-de-Marne
Ivry-sur-Seine: l'immeuble dans lequel est tué l'inspecteur Jouin par Bonnot.
Source: Archives Municipales d'Ivry-sur-Seine
La tragédie d'Ivry-sur-Seine: l'anarchiste Bonnot tue M. Jouin chef adjoint de la Sûreté et blesse l'inspecteur Colmar.
"Où s’arrêteront les crimes de la bande tragique? Les meilleurs défenseurs de la société tombent sous les coups des bandits. L'opinion publique est exaspérée. Ne se décidera-t-on pas à débarrasser Paris et la France de tous ces anarchistes qu'on connait et parmi lesquels se recrutent ces bandes d'assassins."
Source: Le petit journal, 18 mai 1912
Chantilly: braquage de la Société Générale
25 mars 1912
Après avoir volé la limousine à Montgeron, les six complices se rendent à Chantilly vers 10h30. Soudy fait le guet dehors. Bonnot reste au volant. Quatre bandits pénètrent dans la banque. Deux seulement sont représentés ici. Le tireur est sans doute Monnier. Valet est à la porte. Deux employés sont tués, un autre blessé. Les braqueurs s'enfuient en faisant feu pour terroriser les passants.
Source: Réunion des Musées Nationaux
Chantilly
25 mars 1912
Source: Musée de la Préfecture de Police
Chantilly: obsèques des victimes.
En route vers l'église.
Mars 1912
Deux employés avaient été tués lors de l'attaque de la Société Générale.
Source: Musée de la Préfecture de Police
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La tragédie de Choisy-le-Roi où Bonnot trouva la mort
La foule qui voulait écharper le corps du bandit entoure l’auto
qui va l’emporter agonisant à l’Hôtel-Dieu.
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Le siège de Choisy-le-Roi (28 avril 1912)
Une quinzaine d’inspecteurs cernent le garage que Joseph Dubois (ami intime de Bonnot) loue à Albert Fromentin, le « milliardaire anarchiste ». Dubois est abattu. Bonnot se barricade, blesse un inspecteur. Le siège commence. De Choisy, d’Alfortville, de Thiais arrivent des particuliers armés de fusils de chasse. A partir de 9 heures, arrivent le maire de Choisy, le préfet Lépine, deux compagnies de la garde républicaine., un régiment de zouaves avec mitrailleuse. Environ 30 000 banlieusards et parisiens affluent vers Choisy en train en fiacre, en auto ou à pied. Pendant des heures, la fusillade ne connait aucun répit. De temps en temps, Bonnot sort sur le perron pour tirer, sans être blessé. Tous les assiégeants pensent jouer un rôle historique (venger les crimes de Bonnot) lequel, semblant se désintéresser de la fusillade, rédige un « testament ». Le pavillon est dynamité. Les policiers emmenés par Guichard donnent l’assaut et trouvent Bonnot, blessé, réfugié entre deux matelas. Il est transporté à l’Hôtel-Dieu où il meurt. Une vente aux enchères se tient sur l’emplacement du pavillon.
Une vision originale : Léon Bloy dénonce « l’hypocrisie bourgeoise »
Le compte-rendu de Léon Bloy (non publié à l’époque) prend le contre pied de la presse. « Je peux dire que je n’ai rien vu de plus ignoble, de plus totalement immonde en fait de panique et d’effervescence bourgeoise. Les journaux ne parlent que d’héroïsme. Tout le monde a été héroïque, excepté Bonnot. La population entière, au mépris des lois ou règlements de police, avait pris les armes et tiraillait en s’abritant… Glorieuse victoire de dix mille contre un. Le pays est dans l’allégresse et plusieurs salauds seront décorés. Les bourgeois infâmes et tremblant pour leurs tripes qui ont pris part à la chasse, en amateurs, étaient pour la plupart, j’aime à le croire, de ces honorables propriétaires qui vivent et s’engraissent de l’abstinence ou de la famine des pauvres, chacun d’eux ayant à rendre compte, quand il crèvera, du désespoir ou de la mort d’un grand nombre d’indigents. Protégés par toutes les lois, leur infamie est sans aucun risque. Sans Dieu, comme Bonnot, ils ont l’hypocrisie et l’argent qui manquèrent à ce malheureux. J’avoue que toute ma sympathie est acquise au désespéré donnant sa vie pour leur faire peur et je pense que Dieu les jugera plus durement. »
Source: musée de Nogent-sur-Marne
Choisy-le-Roi
28 avril 1912
Guichard (en casquette et veston) s'élance, l'arme au poing, sur Bonnot agonisant qui tire un dernier coup de revolver.
Source: réunion des Musées Nationaux
Le siège de Nogent (14-15 mai 1912)
Le siège du pavillon où se sont réfugiés Garnier et Valet transforme la ville en champ de bataille. C’est l’épisode le plus spectaculaire de la fin de la bande. Le caractère dramatique du siège s’explique par le décalage entre la durée et l’action (le siège dure 9 heures) et l’étroitesse de l’endroit où il se déroule. C’est le type même de « l’événement » : unité de lieu et de temps ; présence de héros (policiers ou bandits, selon son point de vue…).
La psychose populaire est alors à son comble. La presse dénonce l’inefficacité du Préfet Lépine. S’il doit échouer dans sa traque des deux bandits qui terrifient toute la population et ridiculisent la police, peut-être risque-t-il sa place. Tous les moyens sont donc réunis. A Nogent, la topographie des lieux est moins favorable qu’à Choisy-le-Roi. Mais la police a déjà l’expérience de ce premier siège. De plus, le fait que la villa soit située sous le viaduc de la ligne de l’Est permettra de lancer des projectiles sur la toiture.
L’effectif mobilisé est supérieur à celui de Choisy. Il est difficile de l’évaluer précisément. Certains rapports de police minimisent les chiffres, ce qui est un moyen d’insister sur l’efficacité des forces de l’ordre. Inversement, la presse d’extrême gauche avance des chiffres enflés : elle dénonce l’inégalité d’une lutte de mille assaillants contre deux hommes. On peut avancer le chiffre de 850 hommes dont 400 zouaves, mais la grande partie de ces effectifs sert à contenir les curieux.
Les forces en présence sont les suivantes : l’état major de la Préfecture et de la Sûreté Générale, dirigée par le commissaire Xavier Guichard ; le procureur de la République ; la police (tous les inspecteurs disponibles au quai des Orfèvres, les agents cyclistes, …) ; la gendarmerie ; les pompiers ; le 3eme régiment de zouaves, venu du fort de Nogent.
Source: musée de Nogent-sur-Marne
Le siège de Nogent (14-15 mai 1912)
18 heures : le commissaire Guichard et 12 inspecteurs se rendent à Nogent pour reconnaître les lieux. Le Préfet Lépine demande au fort de Nogent de la dynamite et des réflecteurs.
19 heures : Guichard, avec 7 hommes, sonne à la grille pour demander à Garnier et Valet de se rendre. Ils sont protégés par des boucliers. Les tirs commencent. Deux inspecteurs sont blessés.
20 heures : Des cartouches de dynamite sont lancées, sans résultat. Il pleut, on éclaire alors aux lampes à acétylène.
Minuit : Du matériel d’éclairage et de la mélinite sont réclamés au fort de Rosny. Deux mitrailleuses sont amenées du fort de Vincennes.
1 heure : début des explosions de 41 pétards chargés de mélinite. Ils brisent surtout les vitres des automobiles. Garnier et Valet tirent par une meurtrière improvisée, des policiers sont blessés. 30 000 badauds environ assistent à la scène. Porte de Vincennes, près de 500 taxis avaient fait « la course pour Nogent ».
2 heures : le Préfet Lépine s’impatiente. C’est à lui que revient la décision ultime : entrer de vive force dans le pavillon, puisque les explosifs sont impuissants. Le commissaire Guichard s’entretient avec des zouaves, des gendarmes, des policiers… chacune des forces de l’ordre veut être présente lors de l’assaut final et en tirer de la gloire. Le siège est de plus en plus inorganisé et improvisé. Lépine et 7 hommes pénètrent dans la villa. Garnier et Valet, blessés, continuent de tirer. Un gendarme tire sur eux.
3 heures : les corps de Garnier et Valet sont sortis du pavillon. La foule crie sa joie. Des polémiques éclateront. La presse demande pourquoi ils n’ont pas été capturés vivants. D’autre part, la police affirme que les malfaiteurs ont été tués pendant l’assaut, tandis qu’un télégramme de la gendarmerie prétend que Valet a été capturé vivant. L’autopsie ne permettra pas de trancher. Ils seront inhumés au cimetière de Bagneux, près de Bonnot.
Dans la journée du 15 mai, trains, tramways et voitures déversent dans Nogent des milliers de curieux. On vend des « reliques » (douilles, morceaux de linge ensanglantés). Le propriétaire du pavillon installe un tourniquet payant pour s’indemniser des dégâts.
Source: musée de Nogent-sur-Marne
La fin des bandits anarchistes
« Cette fois encore il fallut employer la dynamite et faire un siège en règle ; cette fois encore de braves défenseurs de l’ordre furent atteints par les balles des bandits. Mais, finalement, force est restée à l’ordre et à la loi. Les deux terribles gredins, après une résistance qui ne dura pas moins de neuf heures, furent vaincus et tués sur place. Est-ce la fin du cauchemar, cette fois ? Bonnot, Garnier, Valet, les trois principaux acteurs des drames criminels de la rue Ordener, de la place du Havre, de Montgeron et de Chantilly sont morts. La plupart de leurs complices sont en prison. A la justice maintenant de faire diligence. L’opinion publique, exaspérée par tant de crimes, réclame des sanctions rapides et décisives. Elle exige encore qu’on ne laisse plus désormais se créer et se développer librement des foyers de révolte comme ceux d’où sortirent ces bandits. Morte la bête, mort le venin. Si l’on veut éviter le retour de pareils actes de banditisme, qu’on commence donc par écraser l’anarchie. »
Le Petit Journal, 26 mai 1912
Le procès
Il a eu lieu en février 1913. Les 22 accusés sont Callemin, Carouy, Metge, Soudy, Monnier, Dieudonné, Victor Kibaltchiche et divers comparses. Callemin, le principal membre survivant, nie les faits. Il utilise le tribunal pour exprimer sa révolte. Carouy et Metge (double meurtre de Thiais) nient également, alors que leurs empreintes digitales les accusent. Monnier et Soudy (hold-up de Chantilly) sont formellement reconnus par des témoins. Kibaltchiche, directeur du journal L’Anarchie, est présenté comme le « cerveau » de la bande, ce qu’il récuse : il a hébergé certains membres mais n’a pas profité de leurs vols.
Le seul cas véritablement douteux est celui de Dieudonné, accusé de participation au braquage de la Société Générale, rue Ordener. Bonnot et Garnier ont affirmé son innocence. Faut-il croire le témoignage de l’encaisseur de recettes blessé lors du « casse » ?
Callemin, Monnier, Soudy et Dieudonné sont condamnés à mort. Carouy et Metge, aux travaux forcés à perpétuité (Carouy se suicidera). Kibaltchiche écope de 5 ans de prison (il jouera ensuite un rôle important dans la Révolution russe). A l’annonce du verdict survient un coup de théâtre : Callemin, qui avait nié sa participation au hold-up de la rue Ordener, s’accuse et innocente à son tour Dieudonné. L’avocat de Dieudonné obtiendra son recours en grâce auprès du président Raymond Poincaré. Dieudonné sera gracié en 1927, suite à la campagne d’Albert Londres. Callemin, Monnier et Soudy sont guillotinés le 21 avril 1913, devant la prison de la Santé à Paris.
Source: musée de Nogent-sur-Marne
La bande de malfaiteurs a inspiré des cinéastes, des musiciens et même les étudiants lors des événements de 1968 qui ont baptisé une des salles de la Sorbonne, la salle « Jules Bonnot ».
La bande à Bonnot de Philippe Fourastié (1968) avec Bruno Cremer, Jacques Brel, Annie Girardot, ...
Les brigades du tigre de Jérôme Cornuau (2006) avec Clovis Cornillac, Diane Kruger, ... présentant en particulier le siège de Choisy-le-Roi:
Joe Dassin reprend les différents événements qui ont ponctué la courte aventure de la bande à Bonnot:
Musée de Nogent-sur-Marne
36, boulevard Gallieni
01 48 75 51 25
Les Mardi, mercredi, jeudi de 14h à 18h.
Samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Dimanche de 14h à 18h
(sauf jours fériés)
la photographie des obsèques et de la procession vers l'eglise est très touchante
RépondreSupprimerLéa
Bonjour,
SupprimerMerci pour votre commentaire Léa.
Excellente journée